La morale se trouve aujourd'hui dans une situation équivoque. D'une part, les changements considérables subis par les conditions de l'action et des évaluations au XXe siècle la font apparemment tomber en désuétude : dissolution des structures sociales et institutionnelles, développement des techniques et de la puissance humaine, la pression irrésistible des idéologies-informations éclatées et simplifiées que diffusent les médias, enfin un cynisme snob ou un écoeurement blasé ou naïf face aux horreurs qui ont marqué le XXe siècle. Mais en même temps, paradoxalement, elle semble ressusciter, voire revenir en force : les fondamentalismes, les intégrismes, orthodoxies, traditionnalismes en témoignent, donnant raison à ceux qui depuis trois millénaires, de l'Ecclésiaste à Nietzsche, ont vu dans la morale un remède pire que le mal, la Circé de l'humanité.
On se demandera d'abord où se situe le problème moral et s'il ne s'agit pas là d'un faux problème, quelque prestige que la morale s'arroge par son antiquité. Peut-on encore parler de biens, de fins, de vertus ? Le problème du mal s'avérera comme ce qui suscite la recherche d'un fondement de la morale. Mais tout au long du parcours, on s'efforcera de relier les traditions morales à ce qui concerne notre action et ses conditions aujourd'hui, en passant au crible notre présent, ses promesses et ses menaces, sous le double emblême des critiques de Rousseau et de l'intempestivité nietzschéenne.
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