Cet article provient du Dictionnaire des sciences humaines, sous la dir. de Sylvie Mesure et Patrick Savidan. Melanie Klein, 1882-1960 La psychanalyse de l’enfant kleinienne repose sur l’idée que les enfants expriment leurs pulsions, leurs désirs, leurs fantasmes et leurs expériences dans leurs jeux. Dans cette mesure, les jeux d’enfants peuvent être lus comme des rêves, car on y trouve le même mode d’expression archaïque. Dès lors que l’expression verbale n’était plus au centre de la pratique analytique, même des enfants de moins de 3 ans devenaient accessibles au travail analytique. Partant de son expérience, Melanie Klein élabora une première métapsychologie qui apportait plusieurs changements à la théorie freudienne de l’Œdipe. En fait la problématique œdipienne est plus précoce que ne le pensait Freud. Elle se manifeste dans les jeux à l’âge de 2 ou de 3 ans sous une forme dont l’Œdipe freudien ne serait que l’aboutissement. Sa découverte clinique peut-être la plus marquante reste néanmoins celle de l’importance et de la fonction des fantasmes chez l’enfant. Melanie Klein en effet a su mettre au jour une grande variété de fantasmes agressifs et sadiques extrêmement violents. L’Œdipe précoce est donc accompagné d’un Surmoi précoce dont l’origine reste peu claire. À cette époque, elle développe un concept de symbole original. Les jeux de l’enfant reposent sur un symbolisme non-langagier, et d’abord non-social. À l’instar de Ferenczi, Melanie Klein pense les premiers symboles comme représentant les parties du corps, leurs fonctions et leurs rapports. Les symboles fournissent le premier médium de l’expression et mais aussi de la défense de fantasmes. Cette première période aboutit, en 1932, à la publication de La psychanalyse des enfants. En 1935, elle établit les fondements de ce qui allait devenir l’aspect le mieux connu de sa théorie : le concept des « positions ». Dans son développement, l’enfant traverse deux grandes étapes : la position paranoïde (qui deviendra la position paranoïde-schizoïde sous l’influence de Fairbaim) et la position dépressive. La première position, qui s’étend de la naissance à 4 mois se caractérise par les défenses archaïques qu’on retrouve dans les schizophrénies des adultes. En proie à des pulsions de mort exacerbées, l’enfant projette et, selon l’équivalence kleinienne, éjecte ses pulsions agressives avec des parties de son moi dans des objets extérieurs. Ce mécanisme est la base de l’identification projective. Cette défense mène néanmoins à un double échec. Non seulement ce même moi qu’il s’agissait de protéger des pulsions (auto-) agressives se retrouve clivé et déchiré, mais les objets qui ont été investis par la pulsion de mort et des fragments du moi se retournent contre l’enfant qui les a agressés. Le sein maternel, le premier objet, se scinde ainsi à son tour en un bon sein, nourricier et rassurant, et un mauvais sein, vengeur et dangereux. L’angoisse caractéristique de la position paranoïde-schizoïde est celle de la mort psychique. Dès que les pulsions agressives s’affaiblissent et que le moi se renforce, l’enfant entre dans la position dépressive. La position dépressive se caractérise par une fusion progressive des pulsions agressives et libidinales, et par une réunion des objets partiels. C’est le moment de la naissance de la mère comme objet complet. Ainsi, le mauvais objet agressé apparaît comme étant le même que le bon objet. L’angoisse est alors celle de la culpabilité (d’avoir agressé une personne aimée). La culpabilité, à son tour, donne lieu aux tentatives de réparation. La réparation et l’usage de symboles sont la source de toute créativité. En 1957, Melanie Klein introduit deux nouveaux concepts, l’avidité et l’envie, distingués de la jalousie. Ces trois affects ou mécanismes psychiques déclinent les pulsions de mort de façons différentes. L’avidité tend à vider le sein afin de s’en remplir le plus complètement possible. Elle est une forme de voracité ou de convoitise. Elle me commande de me remplir de ce qu’il y a dans l’autre, de lui voler ce que je convoite pour en devenir possesseur moi-même. L’envie ne vise pas seulement à vider le sein, mais surtout à l’abîmer, à le ruiner. Si l’avidité garde une composante libidinale forte, l’envie exprime presque exclusivement un souhait de destruction. Si l’avidité relève de l’ambivalence, l’envie est l’expression la plus pure des pulsions destructrices. La jalousie, quant à elle, est proche de l’envie et s’y étaye en effet. Mais contrairement à l’envie, la jalousie repose sur un rapport d’au moins deux personnes. L’accent porte alors sur le terme de personne. La jalousie relève principalement de l’amour. Nous sommes jaloux parce qu’une autre personne reçoit cet amour qui nous revient. On y trouve également un sentiment de droit et de légitimité : nous sommes jaloux de ce qui nous revient, de ce qui nous appartient de droit. Le bien dont nous sommes spoliés dans la jalousie nous est volé par un rival usurpateur. Si Freud a définitivement écarté le mythe de l’enfant innocent et asexué, il revient à Melanie Klein d’avoir dressé une carte du monde de l’enfant. Ainsi ; l’enfant kleinien vit principalement dans un monde fantasmatique intérieur, construit par un mélange d’éléments du monde extérieur, de la vie pulsionnelle et d’une activité imaginaire intarissable. L’un des traits les plus marquants de ce monde intérieur est l’étonnante similarité entre les fantasmes agressifs des enfants les plus normaux et les actes des criminels et tortionnaires les plus inhumains (Melanie Klein, 1927). Thierry Simonelli