Par Marcel Conche Pour aborder la connaissance et l’étude de la pensée de Montaigne, il convient, en premier lieu, de bien choisir l’édition des Essais sur laquelle on prendra appui. Je conseille l’édition de référence Villey-Saulnier (Paris, PUF, nombreuses réimpressions depuis 1965, avec la même pagination, aujourd’ui en un seul volume dans « Quadrige », 2004). Ce choix se justifie par les cinq raisons suivantes. 1. Le nom de Pierre Villey fait autorité pour les études sur Montaigne. Sa thèse Les sources et l’évolution des Essais (2e édition, 1933) reste un travail fondamental. Or, l’édition indiquée bénéficie de ses travaux, avec, notamment, le « catalogue des livres de Montaigne ». 2. Elle prend pour base l’« exemplaire de Bordeaux » : c’est l’exemplaire de l’édition des Essais de 1588 muni des additions et remaniements autographes de Montaigne – exemplaire précieusement conservé à la Bibliothèque municipale de Bordeaux. 3. Roy E. Leake (Indiana University) a établi la Concordance des Essais de Montaigne (Genève, Droz, 1981, 2 vol., 1443 p.), qui donne les occurrences de tous les mots des Essais – indispensable outil de travail. Veut-on, par exemple, avoir une idée de l’intérêt que Montaigne porte à Socrate ou à Jésus-Christ ? Au mot « Socrate », l’on voit que Socrate est cité 113 fois, au mot « Jésus-Christ », que Jésus-Christ est cité 6 fois (car autre est la religion, autre la philosophie…). Or, Roy E. Leake a choisi comme édition de référence l’édition Villey-Saulnier. 4. Cette édition bilingue distingue par des lettres les strates successives du texte des Essais : A désigne le texte de 1580 (ou 1582), B le texte de 1588, C le texte postérieur à cette date. Or, la distinction des strates est nécessaires pour deux raison : 1) pour se rendre compte de la pensée de Montaigne. Un exemple : la lettre C indique que l’explication qu’il donne de son amitié pour La Boétie, « Parce que c’était lui ; parce que c’était moi », est une addition postérieure à 1588 ; 2) pour mettre en correspondance, s’il y a lieu, les notations des Essais et des événements historiques contemporains. Montaigne écrit, avant 1588 : « Le bien public requiert qu’on trahisse et qu’on mente » ; il ajoute, après 1588 et l’assassinat du duc de Guise : « et qu’on massacre ». 5. L’édition de 2004 (coll. « Quadrige ») comporte, outre une Préface nouvelle, un « Supplément » qui donne le plan détaillé de vingt-quatre grands essais – plan établi, pour les livres I et II (1580), en faisant abstraction de B et de C, pour le livre III (1588), en faisant abstraction de C. Bien que l’édition de Villey-Saulnier comporte peu d’erreurs, il y a lieu de tenir compte, pour une lecture sans faute, des errata indiqués par André Tournon dans son ouvrage Essais de Montaigne – livre III (éd. Atlande, 2002, p.15-17). Pour une introduction à la pensée de Montaigne, l’ouvrage généralement conseillé est Montaigne ou la conscience heureuse (M. Conche, PUF, 6e édition, 2007). Un exposé synthétique (Avant-propos de la sagesse – Misère de l’homme sans la sagesse – Science et sagesse – La philosophie comme apprentissage de la sagesse – La sagesse comme art d’être heureux) est suivi d’un Choix de textes. Montaigne et la philosophie (M. Conche, PUF, 4e édition, 2007), malgré son titre, ne s’adresse pas seulement aux philosophes. André Tournon écrit : « Aucun scrupule d’exégète ou d’érudit ne peut égaler en justesse cette connivence intellectuelle par laquelle Marcel Conche sait retrouver de l’intérieur la pensée de Montaigne, avec toutes ses exigences » (Bulletin de la Société des amis de Montaigne, janvier-juin 2004, p. 95). Outre ma Préface à l’édition « Quadrige » 2004, qu’il me soit permis de signaler aussi mes articles, « Montaigne, penseur de la philosophie » (in Quelle philosophie pour demain ?, PUF, 2003 ; repris in V. Carraud & J.-L. Marion, Montaigne : scepticisme , métaphysique, théologie, PUF, 2004), « Avec Montaigne et sans lui » (in Philosopher à l’infini, PUF, 2005, chap. VI). Dans l’édition Villey-Saulnier, p.1365, on trouvera l’indication des principaux instruments de travail. Mentionnons l’édition des Essais procurée en orthographe moderne par André Tournon, à l’Imprimerie nationale (1998). D’une grande utilité sont, de Pierre Bonnet, la Bibliographie méthodique et analytique des ouvrages et documents relatifs à Montaigne (Genève-Paris, Slatkine, 1983) ; de H. Peter Clive, la Bibliographie annotée des ouvrages relatifs à Montaigne (1976-1985), (Paris, Champion, 1990). Indispensable est, pour les chercheurs, la consultation régulière du Bulletin de la Société de amis de Montaigne (depuis 1912 – date de la fondation de la Société des amis de Montaigne par le Dr A. Armaingaud). Pour le « conflit des interprétations », signalons l’ouvrage de Sandro Mancini, Oh, un amico ! (Milan, Franco Angeli, 1996).