Cet article provient de l’Encyclopédie philosophique universelle, III : les œuvres philosophiques, tome 2 (sous la dir. de Jean-François Mattéi), Paris, PUF, 1992.Mise à jour prévue. LEBOVICI Serge, né en 1915 Né à Paris. D’abord interne en pédiatrie, puis psychiatre à l’Hôpital des enfants malades à Paris, il est assistant au service de psychiatrie d’enfants du professeur Heuyer, de 1947 à 1957. En 1959, il crée avec Philippe Paumelle l’Association de Santé mentale du 13e arrondissement de Paris, service pilote de psychiatrie de secteur. Nommé en 1972 professeur associé de psychiatrie infanto-juvénile, il crée en 1978 un département de psychiatrie de l’enfant à l’hôpital Avicenne à Bobigny, ainsi qu’une unité de recherche et un enseignement universitaire de psychopathologie du bébé. Entré à la Société psychanalytique de Paris en 1946, après une analyse avec Sacha Nacht, il sera élu directeur de l’Institut de Psychanalyse de 1962 à 1967. Il est président de l’Association psychanalytique internationale (ipa) de 1973 à 1977. Président de l’Association internationale de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent (iacapap) de 1966 à 1970, il est également président de l’Association internationale de psychiatrie de l’enfant (waipad) depuis 1970. Le psychodrame psychanalytique. Bilan de dix ans de thérapeutique par le psychodrame chez l’enfant 1958 Les exigences du travail à l’hôpital des Enfants Malades avaient conduit S. Lebovici à mettre en œuvre des psychothérapies de groupe, puis à proposer aux enfants hospitalisés la réalisation dramatique de leurs conflits : ainsi était intuitivement retrouvé l’outil que Moreno avait proposé aux États-Unis et dont on commença à parler en France dans les années cinquante. Avec René Diatkine et Evelyne Kestemberg, S. Lebovici a alors développé les applications psychanalytiques de cette pratique d’abord dans des groupes, puis – et beaucoup plus à titre individuel – à la psychothérapie des adolescents et des psychotiques. Il ne s’agit pas de “ jouer le jeu ” de ces patients difficiles et inaptes à verbaliser leurs conflits : en les jouant avec des thérapeutes qui mettent en scène les fantasmes, voire les idées délirantes de ces patients, ils peuvent – dans le cadre des déploiements transférentiels – comprendre la nature de leurs mécanismes de défense et de leurs clivages : le psychodrame psychanalytique a connu une grande expansion en France et dans les pays de langues romanes. Un cas de psychose infantile (Étude psychanalytique) 1960 Le travail de S. Lebovici à l’hôpital des Enfants Malades lui permit de connaître des cas graves et il publia dès 1949 un travail sur l’ “ Étude nosologique et psychopathologique de la schizophrénie infantile ” (Évolution psychiatrique). Il s’agissait en fait d’un cas d’autisme. Dès lors l’équipe qui travaillait avec lui eut l’occasion de reconnaître et de suivre des enfants autistes pendant plusieurs décennies. L’aboutissement de ces études longitudinales fut la publication d’une monographie avec E. Kestemberg : Le devenir de la psychose de l’enfant. Suivant le cas de Sammy qui était un garçon d’une dizaine d’années en analyse avec Joyce McDougall, S. Lebovici fut frappé par la beauté tragique des descriptions de la “ face magique ”. Cet ouvrage est une des premières narrations séance par séance d’une analyse d’enfant qui s’interrompit par le départ des parents américains de Paris. Sammy fut placé à l’École orthogénique de Chicago. Les nouvelles qui furent données par B. Bettelheim furent plutôt bonnes et Sammy semble être devenu un éducateur spécialisé. La connaissance de l’enfant par la psychanalyse 1970 Jeune psychiatre formé à la psychanalyse, Serge Lebovici entre comme interne, puis devient assistant du service de psychiatrie d’enfant de Georges Heuyer : avec ses jeunes collègues, dont René Diatkine, il va tenter, après Françoise Dolto, André Berge et Juliette Boutonier, d’installer, dans des conditions plus que rudimentaires, une unité de psychothérapie d’enfants. Il convenait donc de préciser les indications de ces méthodes dont on allait tenter de définir et d’approfondir la technique. D’où un premier article : “ A propos du diagnostic de la névrose infantile ”, où étaient opposés les troubles structurés de la névrose de l’enfant, une indication de la cure et les troubles réactionnels. Plus tard, il fallut pouvoir décrire et présenter la théorie de la relation objectale chez l’enfant : ce fut en 1960 “ La relation objectale chez l’enfant ”. Dans cet article on lira la proposition si souvent citée : “ l’enfant investit sa mère avant que de la percevoir ”. Son auteur a cherché à la compléter aujourd’hui après ses observations sur les interactions entre le bébé et ses partenaires. L’opposition entre névrose et psychose apparut toujours féconde à S. Lebovici qui dans son rapport au congrès des psychanalystes de langue romane (1980), publié dans la Revue française de psychanalyse, a présenté un traité du sujet suivant : “ L’expérience du psychanalyste chez l’enfant et chez l’adulte devant le modèle de la névrose infantile et de la névrose de transfert. ” Il convenait en tout cas que fût présenté le résultat de ces études et de la pratique des cures psychanalytiques chez l’adulte et l’enfant. C’est ce qui fut tenté dans ce livre signé avec Michel Soulé. La première partie contribue à montrer toutes les connaissances sur la vie mentale de l’enfant qui proviennent de la pratique des cures avec les adultes et qui ont enrichi la clinique de la névrose et contribué à certaines modifications de la théorie freudienne, en particulier à propos des stades les plus précoces de la vie mentale, par exemple pour ce qui touche aux premières représentations de l’objet interne : S. Lebovici ne s’occupait cependant pas de reconstructions du passé refoulé, mais de connaissances accumulées. C’est dans la deuxième partie de cet ouvrage, intitulée : “ La construction du passé de l’enfant à travers la psychanalyse de l’enfant ” que le chapitre III prend en considération le “ statut ontogénique du fantasme ”. Il est ici rappelé que Freud décrit l’activité de fantasmer comme celle d’un secteur conscient ou inconscient qui tend à se maintenir en dépit de l’envahissement par le principe de réalité et par lequel s’expriment les désirs inconscients. Cet article envisage les contributions de diverses Écoles analytiques à ce sujet et reprend la critique de Glover selon lequel les kleiniens ne peuvent distinguer l’activité fantasmatique des fonctions du moi et risquent de confondre l’activité fantasmatique et les grandes gratifications hallucinatoires : cette remarque devra être retenue pour comprendre la participation fantasmatique du bébé aux transactions interactives. La troisième partie traite de la connaissance de l’enfant par son observation directe : S. Lebovici laisse déjà deviner son intérêt futur pour les très jeunes enfants et cependant maintient que le recours à la métapsychologie est nécessaire. La dernière partie du livre étudie les applications de la connaissance psychanalytique chez l’enfant : il s’agit essentiellement des effets de la carence des soins maternels et des séquelles que peuvent comporter la dépression anaclitique, l’hospitalisation et d’une manière générale la séparation. Cette question très popularisée après les travaux de Spitz est l’objet d’une étude critique qui discute la description des séquelles à long terme et étudie leur éventuelle réversibilité. Enfin les problèmes concernant les relations de la psychanalyse avec l’éducation, la pédagogie, sont étudiés en détail tandis que l’adoption fait l’objet d’un chapitre spécial. Le nourrisson, le mère et le psychanalyste 1983 S. Lebovici avait déjà montré son intérêt pour les très jeunes enfants et leur observation. Dès 1950 il publia un article dont le titre était “ Notions nouvelles sur le développement du nourrisson et ses répercussions psychologiques ultérieures ”. En 1958, il publia un article intitulé “ Notes sur l’observation directe de l’enfant par la psychanalyse ”. On a vu que la troisième partie de Connaissance de l’enfant par la psychanalyse est consacrée à l’observation directe. Le chapitre premier traite cette question directement tandis que le deuxième chapitre est consacré aux genèses de la relation objectale et à la connaissance de l’enfant de moins d’un an. La quatrième édition de 1988 se termine par un chapitre sur l’interaction imaginaire et fantasmatique. Ayant de plus en plus l’occasion d’examiner en consultation de très jeunes bébés pour lesquels il proposait une psychothérapie brève grâce à des consultations thérapeutiques, conduisant des recherches cliniques sur la psychopathologie du bébé, S. Lebovici, en collaboration avec Serge Stoléru qui recensa les travaux américains, eut l’occasion dans son livre de traiter la révision déchirante de la théorie freudienne de la naissance de l’objet par Bowlby : celui-ci montra l’universalité de la relation d’attachement qui est à la base de l’étude des interactions comportementales entre le bébé et ceux qui lui donnent des soins, c’est-à-dire avant tout sa mère. La théorie de ce dernier, qui s’appuie sur l’étude de l’éthologie animale, à la suite des travaux de Lorenz et de Harlow, conduisit de nombreux psychanalystes à étudier les interactions, tandis que les développementalistes mettaient au point des recherches sur le développement des jeunes enfants. Cependant S. Lebovici reste psychanalyste : pour lui l’enfant de l’homme ne saurait se réduire à son système nerveux. Les neurosciences ne pouvaient suffire à décrire les bases expérimentales de son comportement, quels que soient les immenses progrès auxquels ces disciplines ont contribué. A l’auto-organisation du système nerveux devait correspondre la mise en œuvre de systèmes interactifs qu’on devrait pouvoir étudier aussi sur des bases psychologiques. L’accordage affectif indiquait déjà dans quelle voie les recherches pouvaient conduire à la connaissance et à la genèse des représentations mentales. Mais S. Lebovici s’attache à la description des enfants imaginaires ou plutôt imaginés par la mère sous deux formes : 1) L’enfant du désir de grossesse se développe dès le deuxième trimestre de celle-ci dans les rêveries de la mère. Celle-ci peut alors en parler. Elle le voit à l’échographie. Elle prévoit son avenir ou le craint. Elle choisit avec son conjoint un prénom : ce travail, en dehors des cas où il y a prescription culturelle, permet au psychanalyste de retracer l’arbre de vie de l’enfant futur et permet de dessiner le mandat transgénérationnel qui implique les conflits de la mère avec les grands-parents. On sait combien souvent un bébé fait l’objet d’un transfert maternel sur le grand-père maternel. Cette transmission intergénérationnelle explique de nombreux cas de sévices dont sont victimes les bébés. 2) L’enfant fantasmatique est le produit du désir de maternité qui s’installe avec les identifications œdipiennes : le bébé à naître est aussi l’enfant du grand-père maternel. Avec sa naissance, la mère va annoncer à la grand-mère maternelle que celle-ci a sauté une génération et qu’elle n’aura plus de bébé à elle. Comme on le voit, pendant la grossesse, pendant le début de la vie de l’enfant il existe une véritable transparence psychique chez la mère. La mère parle facilement de ses problèmes d’ancienne enfant, de jeune femme et de mère. Mais le bébé ne parle pas : c’est son action en réponse aux initiatives maternelles ou en initiateur des interactions qu’il faut comprendre. A la phrase souvent citée de 1960 : “ L’enfant investit sa mère avant que de la percevoir ”, il faut maintenant ajouter : “ et il la fait mère ”. A ce sujet, S. Lebovici cite souvent l’allégorie de Winnicott sur le rôle de miroir de la mère et de la famille : un bébé qui regarde sa mère voit deux choses, les prunelles de sa mère et sa mère le regardant. Ainsi sa mère devenue mère voit son bébé la regarder le regardant. Depuis cette date de nombreux travaux de S. Lebovici ont été consacrés à la psychopathologie du bébé : nous n’en citerons que deux parce qu’ils se situent par rapport aux travaux des psychanalystes américains sur la psychopathologie du développement : 1) Dans “ Le psychanalyste et le développement des représentations mentales ”, S. Lebovici montre que l’accès à l’intersubjectivité conduit à l’étude des interactions fantasmatiques. 2) Dans son travail sur “ l’attachement et les psychanalystes contemporains ”, S. Lebovici s’attache à montrer que le modèle interne d’attachement décrit actuellement aux États-Unis sur un mode cognitiviste et considéré comme le noyau essentiel de la transmission intergénérationnelle ne saurait être compris sans le recours à l’étude des interactions fantasmatiques. (B. Kametz) u “ Le psychodrame psychanalytique ” (avec B. Diatkine & E. Kestemberg), Psychiatrie de l’enfant, 1, 1958, 63-79. — Un cas de psychose infantile (Étude psychanalytique) (avec J. McDougall), Paris, 1960, nouv. éd. rev., Paris, Payot, 1984. — La connaissance de l’enfant par la psychanalyse, Paris, puf, 1970. — Le nourrisson, la mère et le psychanalyste, Paris, Le Centurion, 1983.