Didier Anzieu
Cet article provient du Dictionnaire des sciences humaines, sous la dir. de Sylvie Mesure et Patrick Savidan, Paris, PUF, coll. “ Quadrige/Dicos poche ”, 2006. ANZIEU Didier, 1923-1999 Didier Anzieu est né le 8 juillet 1923 à Melun, en Seine-et-Marne. C’est là qu’il passa son enfance et son adolescence jusqu’à son entrée au Lycée Henri IV à Paris où il fut pensionnaire pendant les années de préparation au concours de l’École normale supérieure. De sa formation initiale en philosophie, il retiendra une leçon essentielle : “ L’incertitude et la possibilité de remettre en question les données qui nous viennent de l’expérience de la spéculation ” (Kaës, 2000, p. 27). Après sa réussite au concours de l’Agrégation de Philosophie (1948), Didier Anzieu prépare des certificats de la licence de psychologie et les diplômes de l’Institut de psychologie. Il débute ses premières activités de psychologue clinicien au Centre psychopédagogique Claude-Bernard ; il s’initie au psychodrame auprès de Mireille Monod et Évelyne Kestemberg, puis de Philippe Gravel et Geneviève Testemale. Il est stagiaire psychologue dans le service de dermatologie du Pr Graciansky où il propose le test de Rorschach aux patients souffrant d’un eczéma, pratique où prend source sa première intuition de la notion de “ Moi-Peau ”. En 1950, Daniel Lagache lui donne un sujet de “ grande ” thèse en vue du doctorat d’État : L’auto-analyse – la “ petite ” thèse sera consacrée au psychodrame – et lui conseille de s’engager dans une psychanalyse puisqu’il s’intéresse à la psychologie clinique et souhaite éventuellement devenir psychanalyste. Admis comme élève en 1953 à la Société psychanalytique de Paris, Didier Anzieu commence sa formation de psychanalyste. La rencontre avec Daniel Lagache a été décisive : l’exploration intensive de champs très diversifiés de la psychologie clinique, de la psychopathologie et de la psychanalyse stimulait une curiosité déjà aiguë. L’enseignement à l’université Avec Juliette Favez-Boutonier, Didier Anzieu lutte pour obtenir l’autonomie de la psychologie par rapport aux études de philosophie et de médecine et l’intégration de la psychologie clinique au sein des études de psychologie, double objectif atteint après Mai 1968. Didier Anzieu a été l’un des grands formateurs de psychologues cliniciens, à l’université. À Strasbourg et à Paris X-Nanterre, il a inscrit ses enseignements dans le corpus théorique de la psychanalyse, mais sans donner une formation analytique dans le cadre de l’université et distinguant fermement les fonctions de psychologue et celles de psychanalyste. La psychanalyse Didier Anzieu a été pris dans les mouvements de la pensée psychanalytique et donc dans les vicissitudes de ses développements en France. Formé à la Société psychanalytique de Paris et à la Société française de psychanalyse, il a été un artisan actif des scissions survenues dans l’une puis l’autre de ces sociétés, la première fois avec Lacan, la seconde fois contre lui. Il a fait partie en 1964 du groupe fondateur de l’Association psychanalytique de France, au sein de laquelle il a exercé diverses responsabilités. De son point de vue, les désaccords les plus importants entre psychanalystes concernent la politique de formation plus que les conceptions théoriques. Didier Anzieu se déclare analyste orthodoxe dans sa pratique. Il considère que l’outil essentiel de l’analyse est l’interprétation, double travail pour l’analyste et pour l’analysant, même si c’est l’analyste qui en prend l’initiative. Le désaccord avec la technique lacanienne de l’interprétation porte sur deux points : le principe selon lequel l’inconscient serait structuré comme un langage conduit le psychanalyste lacanien à isoler, décomposer et recombiner une séquence verbale pour faire apparaître, dans le discours du patient, le mot à mot ou le “ lettre-à-lettre ” du texte, un sens inconscient, échappant au patient dans le contenu manifeste. Pour Anzieu, cette technique risque de se transformer en pur exercice de virtuosité langagière ; l’instance de la lettre en effet confond deux réalités, le code et le message, et pousse à la fascination dans la mesure où le patient croit que l’analyste sait de lui tout ce qu’il ne sait pas mais “ qu’il ne lui dira jamais que d’une façon sibylline ” (Kaës, 2000, p. 41). Le second point de désaccord porte sur un autre principe lacanien selon lequel l’interprétation consiste à renvoyer son message à l’émetteur sous forme inversée. Le modèle du “ stade du miroir ” est sous-jacent à cette technique. L’interprétation psychanalytique témoignerait du refus actif de l’analyste à fonctionner comme un miroir narcissique complaisant et mettrait le patient en face des différences structurales – de sexe et de génération – méconnues par lui. Il faut souligner l’attention portée à ce qui se formule en termes d’ “ archaïque ” dans la psychanalyse moderne et qui, pour Didier Anzieu, s’entend plutôt comme un “ originaire ”, et son attirance pour des auteurs tels que M. Klein, W. Bion ou D. Winnicott qui l’ont profondément influencé et inspiré dans la suite de sa recherche. Parmi les premiers ouvrages qu’il publie, notons la parution de deux livres destinés aux étudiants et aux praticiens sur des sujets nouveaux alors en France : Les Méthodes projectives ([1961] 1992) et La Dynamique des groupes restreints ([1968] 2003), régulièrement tenus à jour depuis et régulièrement réédités. En 1962, avec une douzaine de collègues qui avaient travaillé avec lui en psychodrame analytique et/ou en groupe de diagnostic, il fonda le cefrap (Cercle d’études françaises pour la formation et la recherche active en psychologie) qu’il souhaitait situer au carrefour de la psychologie sociale et de la psychanalyse. Le psychodrame, dès le début de sa carrière, attire et intéresse Didier Anzieu. Il a œuvré pour transformer le psychodrame, méthode non analytique si l’on se réfère à la technique de Jacob Lévy Moreno, en psychodrame analytique, en considérant notamment que les actes sont aussi des signes, des indices, pris comme messages par l’entourage. Le psychodrame se situe à l’articulation de la communication pré-verbale et infra-linguistique. Il permet de soutenir le pouvoir signifiant de la parole dans les expériences corporelles. Se dégagent là encore l’intérêt passionné et le questionnement itératif sur les liaisons entre corps et psyché, présents également dans l’approche dynamique du test de Rorschach soutenue par deux références essentielles : le rêve (la rêverie imageante de Daniel Lagache) et le corps dont les représentations sont particulièrement sollicitées dans la pratique projective. La recherche et l’édition Pour faire connaître les résultats de ces recherches, Didier Anzieu fonde en 1972 chez Dunod deux collections d’ouvrages : individuels ( “ Psychismes ” ) et collectifs (“ Inconscient et culture ” en collaboration avec René Kaës). Il y accueille des textes relevant des champs de la clinique et de la psychanalyse, de la psychologie individuelle, groupale et sociale, de la psychosomatique, de la psychologie des âges et des crises de la vie... Il a également fait publier de nombreux ouvrages de méthodologie : sur la conduite psychanalytique des groupes de libre parole, le psychodrame, les tests projectifs, les groupes Balint, la relaxation... À partir de 1983, Didier Anzieu s’est retiré de l’université et a consacré l’essentiel de son temps à développer et à faire connaître ses apports scientifiques, en s’attachant à l’approfondissement de ses travaux de recherche, dans le fil continu de ses objets d’étude et de pensée privilégiés. La multiplication de ses publications montre les effets et les produits d’un acharnement au travail particulièrement intense. Il faut remarquer le maintien des champs pluriels, avec cependant une centration de plus en plus importante sur l’axe porteur qui va du Moi-peau ([1985] 1995) au Penser (1994). La renommée de Didier Anzieu est internationale : ses ouvrages sont traduits à travers le monde. Le 10 décembre 1992, Didier Anzieu a reçu à New York le Sigourney Award in Psychoanalysis de l’American Psychoanalytic Association, prix attribué pour la première fois à des Européens (qu’il partage avec S. Lebovici et H. Segal). L’exportation des travaux de Didier Anzieu soutient encore l’idée d’une vaste transmission, au-delà des frontières hexagonales, au-delà de l’Europe aussi, rare destin pour un auteur français. Et pourtant cet homme, dont les œuvres voyagent de par le monde, se disait peu enclin – à moins qu’il se le soit peu permis – à parcourir le monde. Ce sont les idées et l’écriture qui constituent le véhicule privilégié des échanges, dans les deux sens d’ailleurs, puisque la curiosité et le désir de Didier Anzieu ont fait de lui un grand lecteur, et que, en retour, ses propres ouvrages ont été et sont toujours lus par de très nombreux lecteurs. Didier Anzieu est décédé le 25 novembre 1999. Mais ce qui demeure, au-delà, reste vivant dans l’œuvre, c’est aussi l’homme, l’humaniste, animé par sa passion pour la psychanalyse et pour l’écriture. l Les Méthodes projectives (1961), Paris, puf, 1992 ; La Dynamique des groupes restreints (1968), en collaboration avec J.-Y. Martin, Paris, puf, 2003 ; Le Moi-peau (1985), Paris, Dunod, 1995 ; Le Penser, du Moi-peau au Moi-pensant, Paris, Dunod, 1994. u Kaës R. (dir.), Les Voies de la Psyché : Hommage à Didier Anzieu, Paris, Dunod, 2000. Catherine Chabert
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